Contrairement au Juif-individu dont le renoncement reste possible, le Juif-nation est inassimilable

Yéochoua Sultan

La pérennité d’Israël ne sera jamais démentie, ce n’est pas un homme pour changer d’avis

Nous soulèverons ici deux champs sur lesquels collectivité et individu évoluent d’après des modes de fonctionnement opposés : la parité religieux/laïc qui met en exergue l’aspiration à ressembler aux non-juifs, et la juste attitude face au danger. Nous récapitulerons en mettant en avant la marche de la pensée intrinsèque au judaïsme face aux forces ennemies.

L’apparition d’un mot nouveau ou recyclé crée un élément nouveau qui peut imposer une symétrie face à un concept préexistant. Il complète une liste d’éléments qui s’opposent les uns aux autres et dans laquelle il trouve sa place. A titre illustratif, nous retrouvons dans le genre humain le grand ou le petit, le jeune ou le vieux… ; dans les matériaux le lisse et le rugueux, le dur ou le souple ; dans les êtres vivants en général ceux qui se passent ou non d’oxygène : classables par leur aérobie ou leur anaérobie, et ainsi de suite. Mais tout ne fonctionne pas de cette façon. Dans certains cas, tout est soumis à une règle générale commune. Par exemple, l’anaérobie est exclu pour le genre humain, tous nécessitant de l’oxygène pour exister.

  1. La société israélienne moderne a eu besoin dans son renouveau de la langue hébraïque de créer sur le plan conceptuel une compartimentation entre religieux et non-religieux, ou laïcs.

Dans le judaïsme traditionnel, le religieux est rarement désigné comme tel, puisque c’est la norme. Nous avons certes des notions comme Avdi, mon serviteur, qui désigne notamment Moïse, ou Aneché Emouna, gens de foi, dans les supplications longues de la prière du lundi. Quant au non religieux, les termes existants étant peu flatteurs, Cofer étant rendu par renégat et Méchoumad par hérétique, notre société n’en a apparemment pas voulu. Certes, les gens de caractère prêts à revendiquer l’appellation de renégat ou d’hérétique existent, du genre : «hérétique et fier de l’être», mais bon… En français, la nuance est subtile, car l’athée n’est pas le laïc. Le premier vit dans l’absence de reconnaissance d’une entité créatrice et omnipotente ou présente, le second peut la reconnaître mais ne se conforme pas à des préceptes religieux. En Israël, on a suscité le terme de Hiloni, par complémentarité au terme Dati, religieux. Phénomène original et curieux, tous deux sont des mots nouveaux.

Le premier est emprunté à l’araméen de la traduction en regard du texte biblique dans les éditions courantes : Hilonaï, qui signifie étranger. En principe, il désigne le non-Cohen, qui ne peut consommer le sacrifice expiatoire[1]. L’autre dérive du terme Dat, loi, qui n’est pas un apax, puisqu’on le trouve dans la Torah «Ech Dat Lamo»[2], et presque dix fois dans le rouleau d’Esther. Par contre, l’adjectif qualificatif «loi-eux», sur le modèle de chanceux, orgueilleux, gueux (non?), dati, est très probablement une invention conçue spécialement pour l’hébreu moderne.

Donc, comme nous l’avions démontré dans un autre contexte antécédemment[3], le mot crée le concept et le concept conforte une nouvelle réalité. Vous pouvez choisir d’être religieux, Dati, ou non religieux, Hiloni. Dans le premier cas, vous serez soumis à de nombreuses règles de vie, dans le second, vous vous contenterez d’être un individu moral. Illustration : «Je ne peux pas t’inviter à mon barbecue, car je me sers d’une dépouille d’animal encore fraîche trouvée sur le bord du chemin» : «Mais pourquoi as-tu brûlé ces vieux journaux? Tu sais bien qu’il y a ici des religieux et que ça peut les déranger!» Le Hiloni dit au Dati : «Tu n’as pas le droit de consommer une nourriture non-cachère, car tu es religieux ; tu n’as pas le droit de faire du feu Chabbat, car tu es religieux. Moi, j’ai le droit, parce que je ne le suis pas. Par contre, si un jour je décide de le devenir, alors je n’en aurai pas le droit non plus.»

Revenons au concept du non-religieux avant l’avènement de l’Etat d’Israël. Demandons-nous en fait pourquoi le Hiloni n’existe pas dans le langage des Juifs, alors qu’aujourd’hui, il a fallu l’inventer, puisqu’il nous paraît évident que la société juive, en Israël, se compose de ces deux tendances complétives, religieuse et laïque.  

C’est que le non-religieux dans la société juive de l’exil historique ou géographique ne peut exister sur le long voire moyen terme.

Car si les règles judaïques interdisent de ne pas observer Chabbat, elles interdisent aussi de contracter mariage avec une personne hors de l’Alliance. Or si quelqu’un décide de ne plus observer le Chabbat, il peut sur le même plan – plan religieux s’entend – ne plus se conformer à l’obligation d’épouser exclusivement une personne qui permettra la tenue d’un mariage conforme à : Dat Moché Ve-Israël – la loi de Moché et d’Israël. Comme est Juif qui est né de mère juive[4] ou qui s’est dûment converti, si le Juif prend une non-juive parce qu’elle est très bien, très gentille, et que sa famille n’est pas antisémite, alors, même s’il restera juif jusqu’à la fin de ses jours, sa descendance cessera de l’être. Quant à la fille qui trouve un non-juif très bien sous tout rapport, dans 80% des cas elle ne pratiquera pas le commandement de la circoncision pour ses fils pourtant juifs, et ceux-ci, qui auront tout gré de choisir leur identité quand ils seront grands, liberté potentielle qui dédouane moralement la mère, ne choisiront rien du tout et continueront sur la lancée de leur mère.

Donc, si on n’est pas religieux, ni judaïsme ni judéité ne persistent à la longue.

On a pourtant pu voir des communautés entières, en Russie ou en Allemagne, de Juifs non-religieux qui vivaient entre eux et se mariaient entre eux. Mais elles s’étaient indéniablement formées sur les fondations de la religion qui les unissait et les définissait. Leur existence se maintenait momentanément par leur force d’inertie initiale. Encore fortes à l’époque de l’émancipation dans les différentes contrées d’Europe, tels les adhérents du Bund, ces communautés privées de l’élément judaïque ont fini par se disperser, s’individualiser et se dissoudre dans la masse des nations, un peu à la manière de plants qui, séparés de leur substrat, ne conservent qu’un moment leur vitalité.

Ce qui précède prévaut au niveau individuel. Un Juif qui renie son D. et sa foi perd son autonomie et s’absorbe dans son environnement, comme un satellite naturel privé de son énergie venant s’écraser sur son astre en fusion. Il ne s’agit pas même d’un mélange, comme deux couleurs qui en donnent une troisième à quantités égales, mais d’une dilution, comme une couleur en proportion infinitésimale qui disparaît dans une autre, rappelant la notion de l’annulation halakhique à raison d’un pour soixante, dans les lois juives de la cacherout.

Si le Juif-individu ou s’individualisant depuis son groupe fragmentable, décide de faire comme les autres, de ne plus se distinguer d’eux, considérant que son vêtement, ses lois et ses coutumes représentent un frein, il finit par s’effacer. Il est vrai que dans certains cas il devra faire vite, comme lorsque les antisémites recherchent les origines de gens même non-juifs si coule dans leurs veines 1/16 de sang juif[5].

Un Juif peut se faire non-juif tant que son cas reste individuel[6]. Mais la loi s’inverse au niveau national. Le Hiloni perdure dans l’Etat d’Israël depuis plus d’un siècle, en incluant les années antérieures à l’indépendance (on se rappellera entre autres que Tel-Aviv fut fondée en 1909), mais il se maintient dans un équilibre instable, et il faut sans cesse lutter pour le défendre et le maintenir en place.

Si le Juif en Israël se veut l’égal de l’autre, du non-Juif en Europe, ce n’est alors plus en tant qu’individu qu’il y aspirera mais qu’Etat.

Il ne voudra plus alors ressembler à un simple quidam non-juif mais à un Etat non-juif. Il ne voudra plus se différencier par sa loi, Dat, son vêtement, etc. d’où son agacement face aux autres Juifs qui non seulement observent les règles de la Loi, mais se distinguent par un vêtement qui, s’il fut jadis européen, est devenu typiquement juif car il ne se porte plus que chez les Juifs. Cela fait longtemps que le chapeau italien n’est plus le couvre-chef de l’Italien d’Amérique, et que l’industrie du feutre italien persiste grâce à ses clients juifs.

Si toutefois il défend sa particularité linguistique, c’est parce qu’il part du principe qu’un Etat-nation se conçoit notamment par sa langue, à l’instar de la France qui parle français ou de l’Allemagne qui parle allemand.

(Remarquons au passage que certains ressortissants du vaste groupe arabisant-musulman ne se gênent pas pour se réclamer de la Palestine, patrie des Juifs, alors qu’ils n’ont aucune particularité commune qui les rattacherait à cette terre – ni langue, ni écriture, ni histoire, ni même une monnaie quand ils en occupent encore de larges pans. Mais il faut bien réinventer un prétexte antisémite plausible en apparence, quand il n’est plus d’actualité d’exploiter les anciens chefs de fausses accusations comme le crime rituel, l’empoisonnement des puits, etc.).

En ayant un pays comme les autres, le Juif s’auto-induit en erreur en pensant qu’avoir un pays comme les autres lui permettrait de ressembler aux autres exactement au même titre que le Juif individu cherche à ressembler aux autres quand il vit dans l’une des contrées de l’exil.

Cette tendance résout la difficulté de la contradiction apparente intrinsèque au judaïsme où il y a à la fois le commandement de se désigner un roi et le courroux divin dès lors que l’ordre est exécuté. «Tu te soumettras à l’autorité d’un roi» (Deutéronome XVII, 15), ce que finit par mobiliser le prophète Samuel : «Rendons-nous à Guilgal pour y renouveler la royauté» (I Samuel XI, 14). Pourtant, juste après, l’affaire se complique, lorsqu’il reproche au peuple ce choix : « »Non, c’est un roi qu’il nous faut »… quand vous aviez pour roi l’Eternel. » (Idem XII, 12). Le texte établit donc que la formule du roi restera valide tant que le peuple et le roi «révèreront l’Eternel» (Id. id. 14) ; dans le cas contraire, le courroux s’éveille : ce fut «au jour de la moisson du blé» (id. id. 17) que Samuel invoqua l’Eternel qui fit «tonner et pleuvoir» (id. id. 18). Le prophète Osée synthétise en quelques mots toute la problématique de la souveraineté d’Israël : «Ils nommèrent [un roi] mais pas de Moi» (Osée VIII, 4).

La désignation d’un roi, d’un gouvernement, doit s’inscrire dans l’esprit de la Torah, la Loi.

Si le Juif reste assimilable en tant qu’individu, il ne peut l’être en tant que nation, et toutes ses tentatives pour ressembler à son entourage international ou s’y dissoudre n’auront plus d’effet dès lors qu’il pensera ou agira en tant que peuple. Ce constat explique le désarroi quant à l’écriture du mot juif. Comme substantif, on le trouve tantôt avec une majuscule, tantôt avec une minuscule. Quelle est donc la règle ?

Citons en ce sens l’auteur Roger Ikor dans la Greffe de printemps, roman qui retrace une saga d’émigrants juifs de Russie, sur quatre générations, dont le personnage principal est issu de la deuxième, et arrive le premier à Paris, en 1898. Il fait tout pour se franciser tout en étant marqué par les traits de caractère indélébiles de son origine et de sa mentalité. En dehors de son premier enfant, les deux dernières générations naissent en France. Le patriarche, de son côté, est à la fois éminemment respectable et gênant. Sa fidélité aux traditions est davantage folklorique qu’érudite[7]. La France n’étant pour lui rien de plus qu’une étape du périple de l’exil, il rejoindra pour ses vieux jours la Palestine ancestrale. Les générations acculturées, cachées par leur mimétisme dans la masse, se contenteront d’éprouver ce sentiment de susceptibilité outrée en présence de toute manifestation des idées reçues de l’antisémitisme.

«Que jamais ce petit[8] ne fût tenté d’oublier ses origines, de renier les siens. Français de nation, oui : mais aussi Juif. – Non : pas Juif avec majuscule, comme Français ; juif avec minuscule, comme chrétien (…) Fernand sera, non un Juif français, mais un Français juif, comme il y a des Français protestants. Voilà, c’est tout !»[9]

Nous l’avons compris, juif perd sa majuscule quand il perd sa valeur de membre de sa nation.

Le juif-minuscule est perçu sous son aspect individuel. Il est citoyen de tel ou tel pays, son côté juif se résume à sa religion, et/ou à ses coutumes, ou à sa vague appartenance en l’absence totale de toute pratique. Le Juif-majuscule est un peuple.

On voudrait faire d’Israël – le pays – un individu, comme si tout pays était en fait réduit à une individualité, et que l’individu Israël voulait se faire l’égal par les idées et les mœurs des individus autres nations.

On se figure qu’en tant que nation, sur le modèle de l’individu qui peut se démarquer du Chabbat, du casher, d’idiomes et accents communautaires, de la synagogue, pour la plus grande joie du monde environnant, on peut se démarquer de la signification religieuse du Retour d’Israël et de sa souveraineté retrouvée, ne plus aspirer à en délivrer le sol de l’emprise étrangère ennemie, à reconstruire son Temple détruit. La nation est inassimilable, et la joie de l’abandon de l’identité et de l’appartenance juives, qui, chez l’individu, préfigure l’effacement et l’oubli, préfigurera au contraire chez le peuple une persistance instable en marge de ses véritables identité et aspiration. L’agacement produit chez les autres qui se demandent ce qu’il fait là se fera d’autant plus prononcé que les générations se succèderont et persisteront. 

  1. Une autre dichotomie prévaut : l’attitude à adopter face au danger.

Elle n’est pas la même selon que l’on évolue en tant qu’individu ou nation.

Pikoua’h Néfech et Messirout Néfech : la préservation de la vie face au don de soi. On profanera Chabbat pour sauver un malade ou un blessé ayant vivement besoin d’être transféré à l’hôpital ; mais on risquera sa vie pour sauver la collectivité d’Israël. Que l’on tente de contrarier ces lois et l’on sera désagréablement étonnés des conséquences qui seront l’inverse de ce que l’on escomptait. On a voulu faire partir les soldats et les civils juifs de Gaza ou du Sud-Liban, arguant que leur présence en ces lieux les mettait en danger. Cela fait environ deux décennies que nous constatons régulièrement à nos dépens que les retraits et désengagements n’ont fait que décupler  le danger, et qu’au lieu d’un nombre limité de gens engagés physiquement pour sauver les autres (si la contribution du soldat est évidente, il faut comprendre que les civils israéliens de Gaza agissaient comme un bouclier pour le reste du pays), c’est tout le pays qui doit vivre au rythme des guerres.

L’équation fautive des territoires contre la paix chercha en son temps un sceau halakhique. Le Pikoua’h Néfech repousserait le principe de la détention de terres. Le Sage sollicité alors précisa bien vite que la question n’était que théorique, la partie adverse n’étant absolument pas de confiance quant à la garantie d’une tranquillité hypothétique concédée en cas de compromis ou renoncement de notre part. Dans les faits, il avait d’ailleurs mis en garde contre le désengagement qui ne ferait que mettre en danger Israël.

Néanmoins, Le Rav Eliyahou Zini[10], suite à l’invitation du Hakham qui appela quiconque ne serait pas d’accord à faire part de son opposition, s’autorisa à mettre en avant la différence fondamentale entre une affaire qui concernerait un Juif à titre individuel et une affaire relevant de l’implication d’Israël en tant que nation. Ses réponses furent publiées dans son livre : Eretz Hemdaténou[11]. On ne peut traiter une affaire de tracé des frontières d’un pays comme s’il s’agissait d’un litige entre individus quant à la propriété d’un terrain. Pareillement, explique le Rav, la question soulevée dans le traité talmudique Yoma, à propos du jeûne ou de l’alimentation d’une personne souffrante à Kippour, qui doit être tranchée selon les avis de médecins spécialistes, ne peut servir de base à la question semblant relever du même ordre, où l’on demanderait à des experts militaires si pour la sécurité d’Israël, il serait préférable d’exercer notre souveraineté sur telle ou telle région du pays, ou d’y renoncer, comme si un pareil repli avait la capacité de désamorcer la haine de l’ennemi.

Une question nationale qui concerne l’ensemble de la communauté d’Israël ne saurait être pesée par analogie avec une question présentant des traits communs mais relevant de la sphère privée. Le Rav Zini évoque le principe de guerre en tant que commandement, de défense ou de conquête du pays, autant de préceptes qui seraient incompréhensibles dans leur essence sans cette distinction entre les affaires privées et nationales.

L’un des Sages les plus éminents de l’époque mishnique, Rabbi Akiva, s’était mis en danger pour enseigner au nombre la Torah. «Nos Sages enseignent : « Un jour, la royauté criminelle décréta qu’Israël n’étudieraient[12] plus la Torah. Vint Papus fils de Yéhouda qui trouva Rabbi Akiva en train de rassembler des communautés entières en public et de leur enseigner la Torah.» (Traité Berakhot 61b). Bref, il lui demande s’il n’a pas peur, ce à quoi Rabbi Akiva répond, non sans lui apporter d’abord une parabole : «Si dans le lieu qui est notre cadre de vie nous avons des craintes, dans un endroit qui représente pour nous un danger mortel, à plus forte raison». Quand Rabbi Akiva fut arrêté par les Romains, il retrouva Papus en prison. Ce dernier lui dit : «Heureux soit Rabbi Akiva qui a été attrapé pour avoir enseigné la Torah, malheur à Papus qui a été arrêté pour des affaires futiles» (Idem).

Mais… le plus grand Tana (Sage de la Mischna) de tous les âges n’aurait-il pas entendu parler de la notion de Pikoua’h Néfech, de la prudence qui est de mise pour protéger sa vie ? Là encore, nous avons affaire à une personnalité non pas individualiste, mais à un grand d’Israël qui risqua sa vie pour la pérennité du peuple d’Israël, de la même façon que le soldat d’Israël risque sa vie pour sauver son peuple, ou que son dirigeant politique opte s’il le faut pour la guerre, assurant sur le long terme la sécurité des siens.

Pour conclure cet aperçu de la différence entre l’individu et le peuple, le premier peut décider de disparaître, de se diluer dans l’océan tumultueux des nations. «Car la pérennité d’Israël ne se démentira pas et ne changera pas de vocation ; ce n’est pas un homme, qui, lui, changerait d’avis»[13].

La tradition d’Israël a par ailleurs toujours fait dépendre les catastrophes nationales de problèmes intrinsèques à Israël. Sans dédouaner Nabuchodonosor ou Titus, Assuérus ou Aman, ou plus tard l’Onu et les autres, le Premier Temple fut détruit suite à la commission des fautes qui ne doivent pas être transgressées même face à un danger de mort (idolâtrie, mœurs, meurtre) ; le Deuxième en raison du manque de respect mutuel, ou de la haine gratuite. La faute des explorateurs qui scellèrent pour finir le destin de la génération du désert, condamnée à ne pas entrer en terre d’Israël après quarante ans d’errance dans le désert, ce refus de se battre contre l’occupant cananéen, est suscité par ce complexe d’infériorité vis-à-vis des cultures des autres nations. «Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ce fut ainsi qu’ils nous considèrent à leur tour».[14] Il serait temps de prendre de la hauteur, de cesser de se sentir dans la peau d’un tout petit enfant qui attend l’approbation des grands dans tout ce que nous entreprenons au niveau national.

Parfois, on se dit qu’il fut un temps où tout était beaucoup plus facile. Israël avait des prophètes qui lui servaient de guides. Il suffisait de les écouter ou de les consulter. Ils mettaient le peuple en garde qui savait à quoi s’en tenir. On avait aussi un moyen de communication au cas par cas, via les pierres du pectoral du Cohen Gadol. Nous citons ici maints versets et contextes bibliques, mais nous avons perdu cet avantage, à première vue.

En réalité, si les prophéties ont cessé d’accompagner Israël à peu près à l’époque de l’exil de Babylone, c’est que toutes celles qui ont été énoncées ne perdent rien de leur portée à notre époque. 

«Car l’Eternel D. n’effectuera rien sans en avoir révélé le secret à ses serviteurs les prophètes» (Amos III, 7). Tout ce qui doit advenir a été énoncé d’avance, sous la forme d’un avertissement ou d’une prévision, même si elle peut rester imprécise.

Rabbi Yéhouda Halévy le confirme dans son monument de la pensée juive, le Kouzari : «Il y eut des milliers de prophètes». Si on les compte, ça fait tout de même un peu moins. En fait, seuls ceux dont les paroles s’adressent à toutes les générations, y compris la nôtre, sont consignés dans les Ecritures.

Est-il foncièrement honnête de demander où était D. le 7 octobre, quand nous savons qu’Il nous rassemble des quatre coins de l’exil pour nous ramener dans nos frontières? Quelle place Lui avons-nous accordée quand nous avons renié cette prophétie, quand nous l’avons (en tout cas nos dirigeants, même sans nous demander notre avis) refusée et décidé, contrairement à tout ce qui est prévu dans les textes, que Gaza ne serait pas repeuplée par le peuple d’Israël enfin rassemblé mais par ses ennemis jurés ?

Soyons fiers et heureux de notre identité et de notre appartenance, et c’est lorsque nous finirons par nous respecter nous-mêmes sans vouloir ressembler aux autres au risque d’éclater, par sanctifier la vie en nous battant chèrement pour elle que nous bénéficierons dans la foulée du respect des autres pour nous, telle est la clé d’une paix véritable.


[1] Par ex. Lévitique XXII, 10 : «Et aucun étranger ne consommera de [produit] saint». Traduction araméenne : «Vekhol Hilonaï lo Yékhol Koudcha».

[2] (Feu de loi pour eux, et non loi de feu comme l’expliquent Nahmanide et Or Ha-Haïm).

[3] Voir : «Les dépeupleurs de la terre».

[4] Car il détournerait ton fils… (Deutéronome VII, 4), Rachi : le fils de ta fille est ton fils mais le fils de ton fils (quand la mère vient de l’extérieur) n’est pas ton fils.  

[5] Les nazis poursuivirent les Juifs jusqu’à la quatrième génération en amont (un parent, un grand-parent, jusqu’au grand-père de ce dernier).

[6] Comme susmentionné, il restera juif toute sa vie mais ne transmettra plus sa judéité à travers les âges.

[7] La terre ne serait pas ronde, il serait permis de porter des objets sur la voie publique le Chabbat dans les poches, la présence d’un minuscule fragment de pain levé à Pessah serait catastrophique comme s’il n’y avait pas l’annulation du levain… Cette première erreur provient d’une compréhension erronée du Talmud (Traité Haguiga 12b). «Sur quoi la terre repose-t-elle? Sur des piliers (…) Ces piliers sur l’eau (…) l’eau sur les montagnes (…) les montagnes sur le vent [ou l’esprit] (…), le vent sur la tempête (…) la tempête sur le bras du Saint béni soit-Il (…). Les Sages disent : « Elle tient sur douze piliers (…) » d’autres disent sept (…). Rabbi Elazar Ben Chamoua’ dit : « Sur un unique pilier, et juste est son nom, comme il est dit (Proverbes 10) : « Le juste est le pilier du monde »». Le traité Soucca (45b) explique que le pilier incarné par le juste va dans le sens de la protection du monde. Certains plaisantins aiment à citer ce passage ou à s’en inspirer pour ridiculiser le judaïsme qui serait suranné par leur approche du texte au pied de la lettre, alors qu’il est bien sûr symbolique et allégorique.

https://manitou.org.il/arcive/sfarim/sodleshonkodesh2/1569-sodkodesh2tzadiktov?format=html

[8] L’enfant nommé Fernand, né en France, troisième génération.

[9] La Greffe de Printemps, le Livre de Poche, 1956, p. 340.

[10]  Ancien grand rabbin du Technion de Haïfa, puis recteur de l’école talmudique «Lumière et Délivrance».

[11] Entretien avec le Rav Elyahou Zini. https://www.youtube.com/watch?v=v0VX-KgPZPM&t=290s

[12] Syllepse : procédé syntaxique courant quand un singulier désigne un groupe.

[13] Traduction libre du verset de Samuel I, XV, 29. Le verbe Lehina’hem intervient dans le sens de renoncement, ou de retour sur un avis premier, dans l’affaire du Déluge, quand D. regretta la création de l’homme (Genèse VI, 6) ; ou lorsqu’il renonça à châtier son peuple (Exode XXXII, 14).

[14]  Nombres XIII, 33.

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